Assise sur un vieux sac de jute dans un entrepôt poussiéreux de Kpedze, dans la région de la Volta, Adzo Tamakloe trie patiemment ses fèves de cacao. À 35 ans, cette mère de famille ne cache pas sa lassitude : « Le prix d’achat a grimpé, mais la production, elle, s’est effondrée », lâche-t-elle d’un ton résigné. L’augmentation spectaculaire du tarif officiel annoncé par la Cocobod ? + 137 % par rapport à l’année précédente ? a été perçue comme une bouffée d’oxygène. Pourtant, la sécheresse, les maladies et le vieillissement des cacaoyers ont anéanti l’espoir de rendements élevés. Comme Adzo, des milliers de producteurs ghanéens ne peuvent pas pleinement profiter de cette manne inespérée.
Le cacao, ce précieux « or brun » du marché mondial, joue à la montagne russe. En mai 2025, son prix grimpe à 10 300 dollars la tonne, un record qui masque pourtant une réalité plus sombre au Ghana. Deuxième producteur mondial, le pays voit sa filière cacaoyère en crise depuis plusieurs années. Pour relancer la production et redonner de l’espoir à cette industrie clé, les nouvelles autorités ghanéennes entendent passer la vitesse supérieure.
Avec une récolte tombée à 530 000 tonnes pour la campagne 2023-2024, le Ghana confirme pour la troisième année consécutive la baisse structurelle de sa production cacaoyère. Le pays, longtemps deuxième producteur mondial derrière la Côte d’Ivoire, voit sa première culture de rente en net recul, après avoir franchi le seuil du million de tonnes en 2021. Contrairement à son voisin ivoirien, qui maintient une production stable autour de 2 millions de tonnes, le Ghana peine à contenir l’érosion de ses rendements. En cause : une combinaison de facteurs structurels ? vieillissement des plantations, multiplication des sites d’orpaillage illégal, maladies virales persistantes ? et une pluviométrie capricieuse. Résultat : les recettes d’exportation sont tombées sous la barre des 2 milliards de dollars. Une situation qui préoccupe la nouvelle administration, élue le 7 décembre et qui promet de relancer la filière. « Le virus du gonflement des pousses, la pourriture brune des cabosses et l’exploitation minière illégale sont des menaces sérieuses », confirme le chercheur Eric Mensah Kumeh, du Land, Society and Governance Group.
Acquisition des milliers d’hectares pour la culture de l’or brun
En mai dernier, le gouvernement ghanéen a dévoilé un plan agricole ambitieux pour redynamiser la filière cacao, présenté par le ministère des Ressources naturelles. L’objectif est d’acquérir 200 000 hectares destinés à l’implantation de nouvelles plantations industrielles de cacaoyers. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à relancer une production nationale en forte décroissance. Le projet prévoit d’utiliser ces terres pour compléter les exploitations familiales, qui restent le socle de la production, et ainsi garantir la pérennité du secteur. « Le ministère des Finances et celui des Ressources naturelles travaillent conjointement à ce plan, en partenariat avec la Cocobod, pour intégrer les petits producteurs dans le développement de grandes exploitations », a expliqué Cassiel Ato Forson, ministre des Finances et de la Planification économique, lors d’une rencontre avec les membres nouvellement élus de la Cocobod. Reste à définir les modalités précises d’application, notamment en ce qui concerne la répartition des terres et le cadre juridique des baux agricoles. Pour certains acteurs du secteur, comme Agyemang Prempeh, négociant à Accra, l’enjeu sera d’associer pleinement les petits producteurs, qui assurent 90 à 95 % de la production nationale, sous peine d’échec. Actuellement, près de 20 % des plantations sont en déclin, renforçant la nécessité de ce renouvellement foncier et agricole. Le Ghana compte environ 800 000 petits producteurs parmi un million de cacaoculteurs.
Source : Le Point