
Ils promettent fortune, mais peuvent tout aussi bien conduire à la ruine. En Côte d’Ivoire, les jeux de hasard et plus particulièrement les paris sportifs en ligne connaissent une expansion fulgurante. Beaucoup s’y engouffrent en pleine conscience, portés par l’illusion d’un gain rapide. Si des mesures ont été prises pour tenter d’encadrer le phénomène, une question persiste : peut-on vraiment maitriser un jeu fondé sur l’imprévisible ?
Le 20 mars 1970, la Loterie nationale de Côte d’Ivoire (LONACI) voyait le jour, ouvrant officiellement la voie à la régulation des jeux de hasard dans le pays. Le tout premier produit phare fut le Pari Mutuel Urbain (PMU), lancé en 1994. À l’époque, parier sur des chevaux à des milliers de kilomètres était une révolution. Certains ont vu leur vie transformée, bâtissant maisons et confort matériel ; d’autres, au contraire, n’en ont gardé qu’un goût amer. Car ici, tout repose sur le hasard.
Une histoire ancienne
Les jeux de hasard en Côte d’Ivoire ne datent pas d’hier. Bien avant la colonisation, les communautés locales intégraient déjà des formes de jeux fondés sur la chance dans leurs traditions : jeux de dés, de cartes ou avec des objets naturels comme les coquillages. Le « banco », par exemple, jouait un rôle à la fois ludique et rituel.
L’ère moderne des jeux débute après l’indépendance, avec la création de la LONACI en 1970. Cette structure devient le principal organisme chargé d’encadrer les loteries, tombolas et autres formes de paris. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que les paris sportifs gagnent en popularité, bien que leur exploitation reste encore limitée.
Dans les années 1990, le paysage se transforme : l’ouverture de casinos dans les grandes villes, portée par l’essor du tourisme et l’émergence d’une classe moyenne avide de divertissement, donne un nouveau visage aux jeux de hasard. L’inauguration en 1995 du casino de l’hôtel Ivoire marque une étape importante, introduisant machines à sous, roulette et blackjack dans le quotidien ivoirien.
L’essor numérique des paris
À partir des années 2010, les paris en ligne connaissent une véritable explosion. Portés par la généralisation du smartphone et des services de mobile money, ils deviennent accessibles en quelques clics. Il suffit de télécharger une application, créer un compte, miser… et espérer gagner. La simplicité du processus et la promesse de gains rapides séduisent une population de plus en plus jeune, parfois au-delà du raisonnable.
Les témoignages se multiplient. Dans un taxi, un habitué tente de convaincre : « Je vis des paris sportifs. Avec une bonne analyse, je peux gagner 300 000 F ou plus en un week-end ». Dans un bar, un autre parieur exhibe fièrement ses gains, expliquant comment il paie son loyer, ses factures, et refuse désormais toute idée de chercher un emploi. À l’opposé, l’histoire de Fabio rappelle la face sombre du phénomène. Après avoir empoché 3 millions F CFA et investi dans un petit business, il replonge dans l’addiction… jusqu’à tout perdre.
Entre dépendance et régulation
Car si le gain fait rêver, la perte peut briser. L’addiction au jeu est une réalité : troubles comportementaux, dépression, isolement… Les conséquences sont parfois dramatiques. Conscient des dérives, l’État a pris des mesures.
Le 6 décembre 2023, le gouvernement a interdit tous les paris sportifs et hippiques, physiques ou en ligne, qui ne sont pas organisés par la LONACI. Cette décision, prise en Conseil des ministres, vise à recentrer le secteur sous un contrôle plus strict.
Créée en 2020 et opérationnelle depuis 2021, l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard (ARJH) veille désormais au respect des règles. Elle encadre les opérateurs, lutte contre le jeu excessif et veille à la concurrence loyale. L’ARJH mène également des actions de terrain : en février 2024, plusieurs machines à sous illicites ont été saisies et détruites à Bouaflé.
Par Serge EKRA